Habiter le « Corbu »

Les premiers habitants auront sans doute été ceux qui auront le plus mesuré l’ampleur des progrès dont ils ont pu bénéficier en venant à la Maison radieuse. Arrivant de logements vétustes dans le centre de Nantes, ils découvrent à la Maison radieuse la modernité des ascenseurs, des cuisines aménagées et des sanitaires intégrés, des logements insonorisés, ventilés et bien chauffés, des logements bien éclairés et avec une vue sur les arbres et l’horizon. Le contraste est criant avec les logements qu’ils viennent de quitter. Ces premiers habitants mesurent aussi la particularité de leur statut de locataire coopérateur qui fait de chaque habitant le cofinanceur de l’immeuble et qui leur permet de s’impliquer dès avant la fin des travaux dans la gestion de celui-ci avec la création de l’association des habitants.

Même si l’occupation des 294 logements demandera du temps – le caractère atypique de l’Unité d’Habitation demande à dépasser les préjugés – les nouveaux habitants intègrent progressivement cette nouvelle façon d’habiter collectivement. Les premiers clubs se créent et les premiers événements s’organisent avec une conscience vive de ce que les habitants doivent à Le Corbusier. Des échanges de courriers des invitations lient en effet encore les habitants et l’architecte après la livraison de l’immeuble et certains habitants jusqu’à aujourd’hui se réfèrent encore aux intentions de l’architecte en ce qui concerne la vie dans l’unité d’habitation.

La cohésion entre habitants est alors facilitée par l’homogénéité sociale. En grande majorité, les nouveaux habitants sont de jeunes ménages de la classe moyenne, employés, ou de professions intermédiaires.

Ces premiers temps de l’histoire des habitants restent présents et permettent de perpétuer un souci de la collectivité et du vivre ensemble que manifeste l’association des habitants (AHMR).

Malgré le changement de statut des habitants suite à la Loi Chalandon en 1971 qui supprime l’habitat coopératif (certains deviendront propriétaires de leur logement, d’autres locataires de logement social, alors que d’autres quitteront l’immeuble) il n’y a pas de scission franche entre habitants. La répartition des différents occupants n’étant pas organisée mais le fait des décisions individuelles, l’immeuble a gardé son unité et n’a pas été coupé en deux entre locataires et propriétaires. Cette singularité est aujourd’hui essentielle dans la cohésion et l’acceptation d’une mixité plus grande entre habitants.

Les habitants de la Maison radieuse sont aujourd’hui divers quant à leur statut (locataires HLM, locataires de bailleurs privés, copropriétaires ou encore bénéficiant de logements d’urgence) quant à leur situation sociale (salarié, chercheurs d’emploi, travailleurs indépendants), leurs origines, leur situation familiale ou leur âge. Cependant, la qualité des habitants ne se pose généralement pas. La notion d’habitant prédomine et rassemble tout le monde.

Habiter le « Corbu »

Ce qui frappe d’abord les visiteurs c’est qu’à la Maison radieuse tout le monde se dit bonjour. Cette simple civilité se perpétue là où ailleurs elle a pu se perdre. Au-delà, les voisins se parlent de façon spontanée et cela donne à l’immeuble une ambiance particulière. Aucune « sociabilité » n’est cependant imposée, chaque habitant reste entièrement libre de vivre en toute indépendance des relations qui peuvent se nouer par affinité ou par la fréquentation des « clubs » ou en participant aux différents événements qui ponctuent la vie au Corbu. La sociabilité particulière qui existe à la Maison radieuse n’est pas imposée et n’est pas intrusive, la vie de chaque habitant est strictement respectée.

Les possibilités de nouer des relations avec ses voisins sont cependant multiples et aident de nombreux habitants qui n’ont pas choisi d’habiter la Maison radieuse à s’y intégrer et à s’y sentir bien.

Si l’investissement financier commun aux premiers habitants a pu créer une identité propre et un ciment particulier, c’est aujourd’hui l’investissement dans le vivre ensemble qui est de nature à perpétuer l’unité entre les habitants.

La Maison radieuse est pour cela l’objet d’un très grand intérêt, tant des architectes, des urbanistes, des artistes que des chercheurs en sciences sociales. Les habitants ont été très régulièrement interrogés pour donner leurs impressions sur ce qu’était la vie au Corbusier. Il en ressort de nombreux reportages et une littérature riche parmi lesquels ont peut citer les enquêtes, et recherches de Paul-Henry Chombart-de-Lauwe en 1957, Joël Guibert en 1987, Philippe Bataille et Daniel Pinson en 1990, Sylvette Denèfle, Sabrina Bresson, Annie Dussuet et Nicole Roux en 2006.

L’AHMR – L’association des Habitants de la Maison Radieuse

Le principe d’une association des habitants est décidée dès octobre 1954, avant même la fin des travaux de construction. Les statuts sont adoptés en février 1955 par les premiers habitants. La Maison familiale sollicite alors l’avis de Le Corbusier quant au nom de l’Unité d’Habitation. Le Corbusier propose : « Maison radieuse (…) car ce qui est radieux, c’est chacun des foyers, par conséquent la maison de famille. Et Nantes contient 300 maisons de famille, par conséquent 300 foyers radieux. ». L’association se nommera donc l’AHMR, l’Association des Habitants de la Maison radieuse.

 
Les premiers sujets pour l’association seront l’entretien du parc (de 3 ha à l’origine il fait aujourd’hui près de 6 ha après acquisition par les habitants d’un champ mitoyen), le gardiennage, le stationnement des véhicules, la buanderie collective (qui ne verra jamais le jour) et la création d’un bulletin d’information dont les premiers numéros seront envoyés à Le Corbusier en témoignage d’une « pensée chaleureuse » pour l’architecte.

Depuis ces débuts, les sujets concernant la gestion de l’immeuble et de la vie collective n’ont pas manqué pas plus que l’enthousiasme et l’investissement des habitants. Après la création de la copropriété en 1970, le conseil syndical a pris le relais sur de nombreux sujets. l’AHMR a alors réorienté son action autour du lien entre les habitants de la solidarité, de l’entraide à travers l’activité associative des clubs.

Un état d’esprit à entretenir durablement

l’AHMR pérennise ainsi depuis bientôt soixante dix ans l’idée d’un vivre ensemble dont les différents clubs sont le ciment. Si le télé club a disparu depuis longtemps, la bibliothèque, créée dès l’origine continue d’être active et de proposer à tous les habitants un fonds de livres, de BD, de jeux et de DVD renouvelé par la générosité des habitants. Le « Tritou » est un lieu d’échange et de valorisation des objets de seconde ou troisième main (meubles, vaisselle, ustensiles divers) où les habitants se retrouvent les samedi matin pour prendre un café et chiner, la fripe permet à certains de renouveler leurs armoires au gré des saisons et de la croissance des enfants, les jardins familiaux sont des lieux de culture potagère, d’échanges de connaissance, d’entraide et de partage dans le respect de la nature et la valorisation des déchets organiques avec la présence d’un pavillon de compostage pour enrichir les sols des jardins ; les divers clubs « langues étrangères » (russe, espagnol…) entretiennent un lien durable entre habitants de différentes origines à travers la discussion et le partage des cultures, la sérigraphie et la photographie… permettent à tout habitant qui le souhaite de participer activement à la vie de la Maison radieuse.

l’AHMR c’est aussi de nombreux rendez-vous qui sont autant d’occasions de célébrer les temps forts de notre vie sociale : la Galette des rois, le muguet du 1er mai, la fête de l’été, les feux d’artifice du 14 juillet, les journées du patrimoine, la fête des enfants à Noël. C’est un ensemble d’activités et d’habitudes qui transparaissent dans les lieux, à travers une initiative portée par les habitants, une fête partagée ou encore un rendez-vous convivial organisé autour de nos lieux partagés, intérieurs et extérieurs. À ce titre, le parc est un haut lieu de rencontres et de partages privilégié.

l’AHMR c’est encore l’organisation d’un marché hebdomadaire, tous les mercredi soir dans le hall avec la présence d’un maraîcher et, de manière occasionnelle d’une volaillère, d’un apiculteur ou d’un fromager. Ce marché inscrit une nouvelle relation entre la Maison radieuse et le territoire maraîcher environnant, retrouvant quelque chose du lien qui existait autrefois, quand celui-ci se trouvait au pied de l’Unité d’Habitation. Aujourd’hui le marché, ouverts aux habitants du quartier, est significatif du souci constant des habitants de créer du lien social et de limiter leur impact sur l’environnement, en cohérence avec les actions des clubs et la philosophie initiale des Unités d’Habitation.

Enfin, l’AHRM en lien avec le conseil syndical et la Fondation Le Corbusier répond également aux multiples sollicitations d’artistes souhaitant intervenir au sein de la Maison radieuse. Les projets sont toujours étudiés avec bienveillance et avec le souci du respect de l’œuvre et des habitants. Chaque création artistique étant l’occasion de découvertes et de partages avec les habitants.

Le bulletin mensuel de l’AHMR est devenu Ici Corbu en 1998, il relaie auprès des habitants petits et grands évènements de la vie l’Unité d’Habitation ainsi que de celles des unités sœurs de Marseille, Briey-en-Forêt, Firminy et Berlin.

L’Association des Habitants de la Maison radieuse souhaite porter un élan commun et permettre à chacun d’habiter durablement notre Unité d’Habitation grâce à l’entraide, la solidarité et la mutualisation dans le respect de l’environnement, pour soi, pour les autres et pour le lieu de vie partagé.