Les unités d’habitation

Avec la concentration des industries dans les villes, la révolution industrielle pose dans la seconde moitié du XIXème siècle la question du logement ouvrier. L’afflux de population en ville nécessite de nouvelles réponses, tant urbaines qu’architecturales. L’insalubrité et les maladies infectieuses qui auront cours jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale demandent que soient repensées l’implantation des logements et des usines, l’aération des logements et la circulation entre les immeubles. C’est dans ce contexte et dans celui de la reconstruction de 1918 que Le Corbusier oriente son travail vers la recherche de nouvelle solutions constructives pouvant répondre aux besoins du logement social.

Génèse

La question du logement est majeure dans la pensée et l’œuvre de Le Corbusier. Dès 1914, il conçoit avec la maison « Dom-Inno » la possibilité de libérer l’aménagement du logis des contraintes structurelles, de l’ouvrir sans limite sur l’extérieur. Le système constructif tire parti des nouvelles possibilités du béton armé et de l’industrialisation. La maison « Dom-Ino » permet à Le Corbusier d’envisager le logement à une autre échelle que celle des villas individuelles singulières. Elle permet la conception d’ensembles reproductibles sur la base de typologies de logements, d’abord avec les lotissements Citrohan et la Cité Frugès de Pessac en 1924 puis avec l’immeuble-villas, les projets pour Alger et l’immeuble du bastion Kellerman en 1937, prémisses des Unités d’Habitation.

Les cinq points de l’architecture conceptualisés en 1927 et appliqués point par point dans la conception de la villa Savoye, résultent des possibilités constructives développées avec la maison « Dom-Ino ». Repris à l’échelle de l’immeuble collectif, ils constituent la réponse aux conditions de soleil, d’espace et de verdure qui fondent la pensée urbaine de Le Corbusier au travers de la ville radieuse et de la Charte d’Athènes.

L’immeuble villa dessiné en 1922 est une recherche pour accorder l’habitat individuelle à l’immeuble collectif tout en s’inscrivant dans la lignée les expérimentations des utopistes du 19ème siècle. Il ne s’agit plus seulement de concevoir un immeuble d’habitations mais un ensemble offrant, en plus du logement des services à une communauté d’habitants.

Pour André Wogenscky, collaborateur de Le Corbusier qui assurera la maîtrise d’œuvre de la Maison Radieuse, « le grand bâtiment de 50 m de hauteur prend sa grandeur conforme, comme dit Le Corbusier, c’est-à-dire la grandeur qui est nécessaire et qui est suffisante pour que ce bâtiment ne soit plus une simple addition de maisons familiales, mais qu’il atteigne cette grandeur qui va correspondre au fonctionnement collectif d’un groupe de familles dans leurs logis, car un logis n’est pas fini, si les habitants ne peuvent disposer d’un ensemble de services, permettant de satisfaire certaines nécessités collectives et sociales. » [1]

Le dessin des logements en duplex montants et descendants qui règle la conception des Unités d’Habitation se retrouvera dans de nombreuses esquisses pour différents projets à partir du projet de l’immeuble villa. Il sera finalement réalisé pour la première fois avec l’Unité d’Habitation de Marseille qui constitue la réalisation différée d’un bâtiment de logement déjà mis au point dans l’entre-deux-guerres

L’Unité d’Habitation de Nantes-Rezé

L’Unité d’Habitation de Nantes-Rezé est un immeuble de 294 appartements étudié par M. Le Corbusier conformément aux idées et principes déjà exposés et démontrés par lui sur les possibilités de réorganisation des habitations et des villes d’aujourd’hui.

L’idée directrice est d’augmenter la hauteur des immeubles d’habitation de supprimer toutes les cours intérieures et de réaliser des appartements dits « en profondeur », pour permettre, avec une même densité d’habitation, de réaliser de vastes espaces verts entre les constructions.

Il est toutefois précisé que les terme « d’Unité d’Habitation » est en principe employé par M. Le Corbusier pour définir un immeuble d’appartement contenant de nombreux services communs, tels que magasin de ravitaillement, salon de lavage, crèche, jardin d’enfants, etc… l’ensemble formant alors une « unité » de fonctionnement. Le nombre d’appartements est alors étudié pour que la population soit suffisante pour permettre le fonctionnement de ces différents services.

Par exception à ce principe, l’Unité d’Habitation de Nantes-Rezé ne comportera aucun commerce. Ses services communs seront limités au stricte minimum : hall d’entrée, circulations, ascenseurs, salles de machines, éventuellement buanderie.

L’Unité d’Habitation de Nantes-Rezé formera un bloc d’environ 110 mètres de longueur, 20 mètres d’épaisseur et 50 mètres de hauteur au-dessus du sol au niveau du toit-terrasse. Ce bloc sera porté par une quarantaine de pilotis entre lesquels le sol restera libre.

Elle contiendra 294 appartements de différents types H.L.M.

La population prévue pour l’immeuble est d’environ 1.400 habitants.

Extrait du document E « Devis descriptif général » adressé en juillet 1952 pour la première fois et corrigé le 31 mars 1953 par l’atelier Le Corbusier.

Les Unités d’Habitations

L’Unité d’Habitation est pour Le Corbusier l’aboutissement de ses recherches et la typologie de bâtiment d’habitation la plus en phase avec l’époque de la reconstruction. Avant même la construction de Marseille et jusqu’aux années 60, Le Corbusier proposera l’Unité d’Habitation à plus de 70 exemplaires dans différents projets urbains qu’il ambitionne de réaliser (reconstruction de Saint-Dié-des-Vosges, de La Rochelle entre autres). Il en sera finalement construit cinq, à Marseille, Rezé, Briey, Berlin et Firminy.

Aucune de ces unités n’est identique aux autres, elles répondent localement à un contexte, un programme, un budget différent. Les Unités d’Habitation ne sont pas des modèles figés, répétés strictement à l’identique. Elles ont aussi chacune une histoire singulière. Depuis 2004, les cinq unités sont regroupées au sein de la Confédération Européenne des associations d’habitants des Unités d’Habitation dont la vocation est de porter la parole des habitants auprès des instances, de partager les problématiques de conservation, de gestion et d’entretien des unités, de mener en commun les actions de valorisation et de promotion de ce patrimoine.


[1(André Wogenscky in les anales de l’institut techniques du bâtiment et des travaux publics n° 125 – mai 1958)